Soyons honnête, le retour du soleil et la remontée des températures ces dernières semaines ont relevé à la hausse le moral d’une grande majorité de belges. Et j’en fais partie. Nous souffrons tous plus ou moins du manque de lumière, des matins froids avec pour seul éclairage les réverbères sur les trottoirs, de la bruine piquante qui nous glace le corps et des rafales de vent qui nous bousculent au pied des gratte-ciel bruxellois. Nous avons tous rêvé que le printemps arrive plus vite, que l’hiver ne soit qu’un Noël blanc éphémère, que les buvettes dans les parcs et les apéros au marché deviennent des rendez-vous perpétuels, que la vie à l’extérieur prenne le-dessus sur les longues après-midi cocooning pour échapper au froid de l’hiver. Nous bénissons tous les beaux jours qui arrivent pour pouvoir enfin sortir nos bambins confinés à l’abri du mauvais temps, les laisser courir dehors, grimper aux arbres et se rouler sur le gazon pendant que nous savourons quelques instants de liberté retrouvée.
Mais de quoi rêverons-nous encore lorsque 90% des espèces animales auront disparues sur terre, que l’eau potable sera vendue au baril sur les marchés de spéculateurs, que les mers auront recouvert une partie des terres continentales et que des millions de réfugiés climatiques se retrouveront sur les routes ? Quels seront nos espoirs de lendemain lorsque nous aurons anéanti toute vie de nos terres agricoles, que les océans seront asphyxiés par le plastique et que les sommets blancs de nos montagnes ne seront plus qu’un lointain souvenir ? Quel plaisir prendrons-nous à nous promener au parc avec des masques à oxygène, à suffoquer en terrasse après plusieurs semaines de canicule ininterrompue, à se cacher du soleil dans des maisons mal isolées, à vivre dehors certes mais sans plus entendre le chant des oiseaux ni surprendre le vol d’une coccinelle ?
Nous penserons alors avec nostalgie aux hivers de notre enfance, au froid piquant des matins de janvier et au ciel si gris qu’un canal s’est pendu. Nous nous souviendrons avec tendresse des embouteillages les jours de neige, des débats sur le manque d’anticipation des communes pour saler les voiries, des discussions avec nos collègues sur notre moral en berne (la faute à l’hiver qui s’éternise). Nous regretterons les vins chauds et les grogs pour soigner les maux de gorges et réchauffer les corps après une longue promenade en Forêt de Soignes par ces belles journées froides mais ensoleillées du mois de février. Nous rêverons au retour des saisons telles que nous les avons connues autrefois, avec de vrais hivers et de vrais étés, l’annonce du printemps par les hirondelles et l’arrivée de l’automne avec la récolte des pommes dans les vergers.
Comme je suis de nature profondément positive, je n’ai pas envie de croire que nous allons droit dans le mur. Je n’ai pas envie de dire à mes enfants que leur avenir est aujourd’hui en jeu, que demain sera forcément plus difficile qu’aujourd’hui. Je ne veux pas arracher à Thomas son rêve de devenir photographe animalier ni devoir expliquer à Camille qu’un jour les merles ne feront plus leur nid dans notre jardin. Je ne veux pas en faire des êtres dépressifs ou en colère mais je ne veux pas non plus leur mentir!
Je veux avant tout leur donner le plaisir des choses simples, leur montrer que nous ne sommes rien sans la nature qui nous entoure, les convaincre que les relations humaines sont plus précieuses que tout autre bien. Je souhaite que la curiosité les guide dans leur existence, avec le bonheur d’apprendre et d’élargir leurs connaissances sans limite. Je veux les armer à penser par eux-mêmes, à ne pas se laisser abrutir par des chimères vides de sens, à regarder le monde et les êtres qu’ils côtoient avec bienveillance et indulgence. Je souhaite qu’ils se mettent toujours du côté des plus faibles, que leurs seules exigences soient celles guidées par le coeur, qu’ils s’engagent pleinement dans ce qu’ils entreprennent et qu’ils ne renoncent jamais aux rêves qu’ils ont construits. Je veux qu’ils soient libres d’agir et de penser mais toujours dans le respect des autres et du monde qui les entoure. Je veux leur expliquer pourquoi et comment nous en sommes arrivés là et quelles sont les solutions que nous pouvons leur proposer pour continuer à avancer. Je ne veux pas qu’ils renoncent mais au contraire qu’ils posent chaque jour des actes qui les rendent plus forts, qui les préparent à vivre dans un monde différent de celui que nous avons connu. Je souhaite qu’ils soient armés pour atteindre l’impossible, pour résister à l’insoutenable, pour donner du sens à ce qu’ils sont.
C’est une quête infinie et troublante que de mettre au monde et de guider de petits êtres vierges de tout préjugé sur le monde qui les entoure. Une quête difficile et passionnante car nous ne sommes pas les seuls architectes qu’ils croiseront sur leur route, parce que nous n’avons pas toujours raison et qu’ils sondent mieux que personne nos failles et nos doutes. Alors plutôt que d’en faire des petits d’hommes effondrés ou en colère face aux enjeux climatiques, je choisis d’en faire des êtres en devenir prêts à vivre avec la planète que nous leur transmettrons. Je choisis de les accompagner sur le chemin et de les rendre plus forts, plus courageux, plus solidaires. Ma responsabilité de parent c’est de leur donner des outils et des clés de compréhension mais pas de les leurrer sur ce qui les attend. Alors nous avancerons ensemble puis un jour je lâcherai leurs mains…sans certitude sur le monde qu’ils recevront en héritage mais avec énormément de confiance en leur capacité à affronter l’avenir.